Vire le volontariat, c’est être témoin de grandes joies, de petits pas, de faiblesses et de difficultés. Raconter tout ce qui a été vécu à son retour n’est pas une mince affaire. Parfois une journée de volontariat est particulièrement significative de tout ce qui s’y vit. C’est ainsi que Camille a choisi de parler de son volontariat : en racontant cette journée si particulière.
Camille est partie six mois en Volontariat « Partirici » dans une structure qui accueille et accompagne notamment des jeunes migrants.
Je me rappelle d’un lundi matin de début juillet, une de ces journées de perte de sens telles qu’elles peuvent arriver en volontariat…
Ce lundi là, les éducateurs ne démarraient leur journée que tardivement et les jeunes étaient très tendus. Face à ma tasse de café, je ressentais le vide du volontariat. Le vide de la gratuité qui veut que le volontaire soit ni indispensable, ni rentable. Le vide d’un passage éphémère et discret dans la vie des autres qui veut que l’on s’intègre sans se rendre irremplaçable. Le vide d’un temps à se nourrir du don en oubliant de recevoir. De l’ambiguïté d’installer sa vie là où d’autres ne font que passer travailler. De l’absurdité de proposer d’aimer celui qui te rejette.
Ce jour là… ce vide me pesait.
Et pourtant, je devais prendre un train le soir pour Paris, avec Bakary, un des jeunes du foyer, il avait rendez-vous à l’ambassade de son pays d’origine pour obtenir un titre de circulation. Bakary m’avait jusque là toujours ignorée et était souvent en conflit avec les éducateurs. Autant dire que je redoutais le trajet qui s’annonçait. Sur la route de Paris, qui me rappelle que mes proches me manquent, la tentation allait être grande de m’y arrêter et de ne pas revenir.
Prise d’un intense découragement, je décidai d’aller prier, comme dernier recours. Dans la prière, où je ne sais jamais quoi faire, tout ce qui m’est venu, c’est que si j’ai l’audace de me recueillir auprès de Dieu, je dois penser être son enfant… Ce simple constat sonna comme une évidence et une immense paix m’envahit: si Dieu ou quelconque autre intention, peu importe son nom, nous a dessinés puis déposés sur terre, c’est forcément pour le seul objectif d’y être heureux. Soudain m’est passé le sens de la colère, du doute, de l’angoisse, de la méchanceté… Si l’homme est créé pour vivre un petit siècle sur terre, ces énergies négatives n’ont plus de place et seul compte l’ultime nécessité de savourer, aimer, donner, s’amuser!
Boostée à bloc par cette révélation vitale, je repris de plus bel le cours de ma journée. Je pris le train avec Bakary, silencieux, indifférent à ma présence. Par précaution face à l’ennui, je m’étais munie d’un jeu de UNO. Le voyant rire devant mes défaites, je m’engageai à jouer autant de parties qu’il souhaiterait. Alors que je trouve ce jeu rapidement lassant, les sourires de Bakary devenaient une lueur sur ma journée de vide. S’en suivit alors 1h40 de Uno, fatiguée, désintéressée, je ne me nourrissais que de la joie de mon acolyte.
Le lendemain, le rendez-vous à l’ambassade finit beaucoup plus tôt que prévu et Bakary et moi nous sommes retrouvés avec 3 heures de temps libre dans Paris. La sensation de vide me saisit à nouveau à l’idée de passer tout ce temps avec ce jeune qui ne m’adressait toujours pas la parole. Je décidai néanmoins de faire visiter tout Paris à Bakary pour nous occuper. Au cours de nos balades et des non réponses de Bakary, je finis par trouver un sujet sur lequel l’animer: l’histoire de son pays. Alors qu’il partait sur un monologue, je n’osai plus le couper et me contentai d’écouter pleinement. J’avais enfin obtenu qu’il existe à mes cotés. Je ne pouvais plus l’arrêter, de l’histoire de son pays à la politique actuelle, puis à sa migration, et enfin, à sa douleur de vivre loin de ses parents, occasion pour lui de me glisser « je n’ai pas laissé ma mère m’aimer, je ne laisserai pas les éducateurs le faire, quand on sera de retour au foyer, tu ne seras à nouveau plus rien pour moi ». La dureté de ses propos ne compta pas, tant était plus important pour moi de le voir enfin se laisser rencontrer en sincérité.
Sortie de cette journée, touchée et émue, je pris conscience que sans repères ni bonheurs personnels, seul, à vif, épuisé, démuni, il reste.. l’AUTRE. L’autre et les milles richesses et surprises de la rencontre désintéressée entre deux êtres humains. A ce moment, j’acquis une confiance indéfectible en l’avenir, la croyance en la merveille infinie inhérente de l’être humain et la certitude que je n’aurai plus jamais peur.
Ce vide du volontariat, était en fait l’espace le plus grand de la liberté et de l’amour pour l’autre.